Tour Eiffel aux couleurs russes
Tour Eiffel aux couleurs russes © HR & Firefly/Comminges Direct

Beaucoup moins depuis que le chaos institutionnel et budgétaire s'est emparé de l'hexagone1, mais le sujet resurgit régulièrement2 : la Russie représenterait maintenant une menace pour la France exigeant un réarmement de grande ampleur.

Du moins est-ce l'antienne servie par d'éminents consultants, bardés de grades et titres variés, ou de très avisés commentateurs et commentatrices.

Est-ce bien sérieux ?

Examinons les termes d'une telle proposition, d'ailleurs incomplète.

La menace présumée

Les propos proférés évoquant tous l'hypothèse d'une guerre, notamment « hybride3 », le périmètre d'analyse est bien défini.

Une guerre conventionnelle de haute intensité ? 

Affrontement direct, inscrit dans la durée, entre puissances dotées d’armées technologiquement avancées et industriellement robustes4, la guerre conventionnelle de haute intensité est une guerre d'attrition impliquant généralement l'ensemble des corps d'armée « classiques » : terre, air et mer. Plus exactement, aujourd'hui : terre, mer, air et espace.

Ce type de conflit est très coûteux en hommes et matériels et suppose une logistique très importante : l'exemple de la guerre entre Russie et Ukraine en est flagrant.

Ce même exemple contient la réponse : quatre ans n'ont pas suffi à vaincre l'Ukraine5, pays limitrophe !

À court ou moyen terme, en l'état actuel des ressources militaires du pays, imaginer le venue de chars russes dans les Ardennes, de MiGs sur Paris ou de navires de la flotte du Nord au large du Havre relève d'esprits dérangés.

À long terme ? Outre la question du but poursuivi (cf. infra), cela suppose une économie et une démographie suffisamment prospères pour permettre la reconstitution d'une armée de niveau cohérent en moyens humains et matériels : à supposer que l'inattendue robustesse de l'économie se maintienne, à elle seule, la crise démographique du pays s'y oppose6

Une guerre hybride ?

L'expression est à la mode.

Celle-ci suppose, par définition, l'existence d'action(s) de guerre conventionnelle et une telle action de la part de la Russie à l'encontre de la France serait assimilable à une véritable déclaration de guerre7 : il n'en est rien. Et ce qui précède permet d'en exclure l'hypothèse.

Le deuxième volet concerne les actions irrégulières (asymétriques) : actions terroristes et subversives significatives. À ce jour, officiellement, il n'en est rien, non plus. Peut-on imaginer qu'il en survienne dans le futur ? C'est une possibilité, sans doute. Toutefois, de telles actions n'imposent certainement pas un réarmement conventionnel d'ampleur – totalement inadapté – pour y faire face, outre la question du but poursuivi, à nouveau.

La cyberguerre : si des actions de ce type sont effectivement imputées à des groupes ou services russes ou prorusses, ces derniers sont très loin d'être les seuls à nuire ou tenter de nuire ainsi à notre pays. La cybercriminalité est largement répandue. Et, à nouveau, un réarmement conventionnel est incohérent aux moyens devant être déployés face à cette adversité.

L'espionnage ? Richard Sorge8 doit sourire dans sa tombe ! L'espionnage, et le contre-espionnage sont des activités classiques et permanentes de tous les états de la planète. Y compris entre « amis » : par exemple les États-Unis d'Amérique...9. Et les services français ne sont pas en reste...

Et la désinformation : comme en matière de cyberguerre, les groupes ou services russes ou prorusses ne sont pas les seuls à la pratiquer et l'inadéquation d'un réarmement conventionnel s'applique ici également. En outre, la désinformation n'a rien de nouveau, seuls les vecteurs modernes le sont10. En craindre les effets revient à mettre en cause la clairvoyance, la lucidité, le jugement des citoyens : dans ce cas, l'adversaire serait moins le groupe ou organisme russe11 que... les citoyens eux-mêmes ! Au point d'en discuter le droit de vote ?

Évoquer une vraie guerre entre la France et la Russie apparaît ainsi relever de l'ineptie, ou d'intérêts obscurs. D'une désinformation12

Aussi bien, faire de grandes déclarations et déclamations justifiant un réarmement conventionnel massif, la fabrication de millions d'obus, etc., ne peut avoir pour explication, outre d'occuper le temps d'antenne en faisant la promotion du bellicisme, que de détourner l'attention des citoyens précités de problèmes plus alarmants et qui les affectent très directement. De détourner l'argent public de sa destination première.  

Dans quel but ?

En effet, la proposition est bien incomplète : la Russie serait une menace contre la France, mais avec quel but concrètement ?  

Le retour des Cosaques sur les Champs-Élysées ? Faire du pays un Gaza gaulois ? Installer un gouvernement fantoche ? Ne serait-ce pas donner dans la gaminerie ?

Alors qu'il pourrait y en avoir effectivement un but, intelligible : la France, depuis bientôt 4 ans, exerce ou participe à des sanctions à l'égard d'un pays tiers qui ne l'a pas agressée, et ce en l'absence de traité de défense lui imposant une intervention. Plus que des menaces, ces sanctions peuvent s'analyser en termes... d'agressions. Et si tel est le cas, jusqu'à présent la riposte russe paraît bien minime. 

Étrangement, personne, réellement personne, du plus petit consultant en mal de commentaires au chef de l'État, n'a explicité le but qui serait visé.

Cela devrait suffire au citoyen pour exercer son jugement face à un tel discours, insensé.

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1 Auquel se sont joints les paroxysmes atteints au Moyen-Orient ou dans les relations avec Mr Trump...
2 Au gré des sanglantes vagues de drones envoyées de part et d'autre, par la Russie et l'Ukraine
3 Une guerre est appelée hybride lorsqu'elle combine des opérations de guerre conventionnelle, de guerre asymétrique (ou irrégulière), de cyberguerre et d'autres outils tels que la désinformation (Revue de défense nationale).
4 Pour reprendre la définition donnée par le ministère de la Défense, l'arme atomique étant exclue.
5 Il est vrai que les erreurs stratégiques et tactiques commises dès le début de l'invasion ont obéré quasi définitivement les chances d'un succès rapide.
6 Le recours actuel à mercenaires est déjà un signe très négatif et les projections les plus alarmistes font état d'une perte de population pouvant atteindre 47 % en 2050, dont 50 % pour les jeunes de 18 à 24 ans. Fondation Robert Schuman7 Le statut juridique de la déclaration de guerre.
7 Ce qui ramènerait à la guerre conventionnelle.
8 Célèbre espion russe.
9 Encore récemment : affaires PRISM, XKEYSCORE, PEGASUS...
10 Internet, réseaux dits sociaux...
11 Ou chinois, américains, israéliens...
12 Précisant que l'auteur de ces lignes n'a aucune affection pour le chef du Kremlin.

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